LASSIGNY. — LE PLÉMONT  L'attaque du 9 Juin 1918.



C'est une période dure, pendant laquelle les bivouacs et les chantiers sont soumis à un bombardement constant.

Le 3o avril, le Régiment relève dans le secteur du Plessier-de- Roye le 148 Groupe de Bataillons de Chasseurs.

Secteur de bataille, dans des organisations précaires, où le terrain porte à chaque pas les traces glorieuses de la contre-attaque célèbre dans laquelle le magnifique Régiment d'Infanterie coloniale du Maroc avait, un mois avant, anéanti en ce point les grands espoirs de l'ennemi.

Le 17 mai, la Compagnie d'Arodes participe là à une forte opération de reconnaissance dans Lassigny, Elle est citée à l'ordre du 9e Cuirassiers avec le Bataillon chargé de l'opération : « Le 17 mai 1918, sous le commandement de son chef le Commandant DE VAUCRESSON, le 2e Bataillon du 9e Cuirassiers, appuyé de la Compagnie d'Arodes du 4e, a attaqué avec vigueur, malgré un feu violent de mitrailleuses, les lisières de Lassigny et la Tour Rolland, pénétré dans les lignes de l'ennemi à plus de 5oo mètres, bouleversé ses organisations et ses abris, capturé de nombreux prisonniers et des mitrailleuses.
Ses objectifs atteints, les a quittés à l'heure fixée, revenant vers nos lignes dans un ordre parfait en troupe solide, maîtresse d'elle-même et consciente de sa force. »
Après quelques jours de repos dans les carrières du plateau Saint-Claude, le 4e Cuirassiers relève le 11e sur le Plémont.
Enorme bloc détaché du massif de Thiescourt, le Plémont domine au Nord la large vallée de la Divette, à l'Est la coulée Thiescourt-Rue-des-Boucaudes, au Sud la coulée Rue-des-Boucaudes-Belval et est séparé à l'Ouest de la plaine de Lassigny-Gury par le couvert du Plessier-de-Roye. Le sommet dénudé et rocailleux forme un plateau circulaire de près de 600 mètres de diamètre. Les flancs en sont boisés et touffus.

Le 4e Cuirassiers tenait le Plémont depuis les premières maisons du Plessier jusqu'à l'axe de la coulée de Thiescourt. Deux bataillons se partageaient ce front de près de 3 kilomètres, leurs postes de commandement étaient sur le plateau. L'autre Bataillon, en soutien, barrait à 1.5oo mètres ou 2 kilomètres en arrière la coulée de Thiescourt par la Rue-des-Boucaudes, les débouchés du Plessier par Belval et occupait la courtine entre ces deux points d'appui.

La liaison se faisait à droite avec le 236e d'Infanterie à gauche avec le 11e Cuirassiers.

Les indices et les renseignements concordaient sur la probabilité d'une attaque prochaine de l'ennemi. En fixer avec plus d'approximation la date était le but des nombreux coups de main imposés aux troupes en ligne. De part et d'autre une puissante artillerie était en action.

Le coup de main du 28 mai, qui vaut à la Compagnie DAUGER une citation à l'ordre du Régiment, est à mentionner.

L attaque devient imminente dans les premiers jours de juin. A ce moment le Bataillon DE SALVERTE est à droite en première ligne, C. R. Artois, le Bataillon NOUVEL, à gauche, C. R. Bearn, en soutien Bataillon DOMMANGET.

Les batteries allemandes étaient depuis plusieurs jours silencieuses, lourd silence qui ne trompait personne, lorsque dans la nuit du 8 au 9 juin, à minuit moins dix, un bombardement formidable s'abat simultanément sur toutes les lignes et communications de l'Infanterie, sur les positions et dépôts de l'artillerie, et s'étendant loin aux arrières, va semer la mort dans les trains et les échelons. Tous les calibres, du 77 au 210, torpilles, shrapnells, explosifs et toxiques se mêlent dans un épais brouillard de gaz et de fumée, dans un infernal fracas que ponctue tous les quarts d'heure l'ébranlement énorme des 420 qui éclatent sur le sommet du Plémont.

Toutes les lignes téléphoniques sont coupées, les liaisons par coureurs impraticables, les fusées sont invisibles, seule la T. P. S. va pouvoir fontionner.
Et l'attaque de front trouve les cuirrassiers à leur poste, elle se brise sous leurs feux.
Mais sur la gauche les Allemands avaient gagné du terrain sur un grand front; le 11e, au petit jour était débordé dans le Plessier où il tenait bon. Sur la droite, par la coulée de Thiescourt, l'ennemi s'est glissé et dès 3 heures le Bataillon DE SALVERTE est attaqué à la fois sur sa droite et à revers; à 5 h. 20 il est presque encerclé.

De demi-heure en demi-heure la T. P. S. du Bataillon NOUVEL rend compte des progrès de l'attaque. Ce bataillon, à son tour, est attaqué à revers comme de front. Dans les pentes boisées du Plémont s'engage une lutte opiniâtre qui va durer des heures. Mitrailleuses et grenades rendent la progression ennemie aussi lente que coûteuse.

Vers 5 heures le Bataillon de soutien reçoit l'attaque, brutale sur les Boucaudes, insinuante sur Belval. La physionomie du combat est dès lors fixée pour la matinée. Deux zones de feu indépendantes, l'une linéaire sur le front du Bataillon DOMMANGET, l'autre, en avant, circulaire autour des défenseurs du Plémont.

Sur la Rue-des-Boucaudes les Allemands arrivent en colonne suivis de leurs voiturettes de minenwerfer (lance-mine).
Ils sont reçus par la Section DU PAYRAT appuyée de la Section de mitrailleuses ROULLIN du 10e Dragons, et refluent en désordre. Quatre nouveaux assauts sont repoussés de même; vers 10 heures ils renoncent momentanément à la lutte sur ce point, nous laissant des prisonniers et des armes dont une mitrailleuse.
Vers Belval leurs infiltrations pressantes sont arrêtées par la Section GABET et les Sections de mitrailleuses du Lieutenant SOULET qui a réuni autour de lui un noyau inébranlable..

Sur le Plémont les assaillants se renouvellent inlassablement, tandis qu'avec les pertes croissantes les défenseurs se resserrent. Autour du P. C. NOUVEL se groupent, avec le 2e Bataillon, les débris du 3e et la lutte se circonscrit de plus en plus sur le plateau où le cercle se restreint autour des blessés et des mourants.

Le Commandant DOMMANGET renforce dès qu'il le peut sa ligne de combat et la ravitaille en munitions.
Le Colonel l'appuie sur la gauche par la Compagnie CURY du 9e Cuirassiers qui vient d'être mise à sa disposition. Mais il est impossible de communiquer avec l'îlot du Plémont qui est à court de munitions. Ses appels de T. P. S. deviennent de plus en plus angoissants, mais il tient.

Vers midi l'ennemi veut en finir. De Thiescourt il débouche en colonnes compactes, sur la route de Gury, le P. C. NOUVEL signale des masses de toutes armes.
Les pentes du Plémont se garnissent de mitrailleuses, de minen et de flammenwerfer (lance-flammes) .
Les appels DE BÉARN s'espacent; autour du P. C., sur le plateau, 100 blessés inondant les boyaux de leur sang sont entourés des derniers. défenseurs et les munitions manquent. A midi 5 résonne un dernier appel de sans fil : « F......»

Le poste du Colonel répond : « Saluons des héros ! »

A 13 heures le gros effort se porte sur le Bataillon DOMMANGET. Le sixième assaut, puissamment monté, déferle sur ses lignes. Il réussit à prendre pied dans la tranchée, en tête des Boucaudes. Après vingt minutes de corps à corps il reflue en désordre. Pour la sixième fois l'ennemi est repoussé avec de lourdes pertes.

La situation est bonne sur la droite, la liaison avec le 236e est assurée matériellement. Mais à gauche, exploitant leur succès du matin, les Allemands gagnent du terrain par une marche parallèle au front, en arrière de nos lignes, et lorsque le Colonel reçoit, à 14 heures, l'ordre de se replier, le Régiment est aux trois quarts encerclé. A 14 h. 15, au moment où le Colonel, quittant son P. C. du Marais; fait sauter la route près de laquelle étaient creusés ses abris, l'ennemi atteignait cette route par les bois.

L'ordre ne put parvenir à une section de la Compagnie TAILFER qui refusa d'imiter un mouvement dont elle ne connaissait pas l'origine. Les Maréchaux des logis JAOUEN et BRANDMEYER déclarèrent : « Nous avons l'ordre de tenir jusqu'au bout. Nous restons. »

Le dernier souvenir du Lieutenant SOULET est de ceux qui le virent tout à la gauche de notre ligne, debout au milieu de ses mitrailleurs baïonnette au canon, faisant tête aux ennemis qui l'assaillent de toutes parts.

Très réduits, les autres éléments du 1er Bataillon purent se joindre à la Compagnie hors rang. Ces trois cents hommes étaient tout le 4e Cuirassiers.
Pendant treize heures, écrasé par une artillerie formidable, intoxiqué par les gaz, débordé par ses flancs, le Plémont avait interdit le passage à l'ennemi. Six fois celui-ci s'était rué en masse, six fois il avait été repoussé. Trois Divisions d'élite (3e D. B., 4e D. C., Division de Chasseurs de la Garde, identifiées par prisonniers) ont laissé des monceaux de morts et de blessés. Des prisonniers et des mitrailleuses étaient restés entre nos mains.

Dans les mois suivants, de nombreux cuirassiers du Régiment, évadés des lignes allemandes, certifièrent les grosses pertes de l'ennemi qui avait poussé en cet endroit la préparation de la bataille à tel point que tous les Commandants de Compagnie et les Chefs de Bataillon chargés de l'attaque du Plémont avaient fait au moins une fois en avion leur reconnaissance de terrain.

On apprenait quelques jours plus tard, par les journaux suisses, qu'un des principaux critiques militaires allemands, le Général von Ardenn, écrivait dans le Berliner Tagblatt du 18 : « Les Régiments de cuirassiers français se sont particulièrement distingués par leur bravoure et ont mérité plus justement encore leurs lauriers que les cuirassiers de Reichshoffen ! »

En arrivant sur la deuxième position, nos éléments y trouvent déjà l'ennemi. Les effectifs de la D. C. P.
sont trop réduits pour interdire le long de ces tranchées sous bois toutes les infiltrations. Le repli continue en combattant jusqu'à la tranchée de Bellenglise où a lieu un très vif engagement qui rejette les Allemands et arrête la poursuite pour plusieurs heures.

En fin de journée, le Régiment s'installe sur la rive sud du Matz dont il organise la défense entre Vandelicourt et Chevincourt. Vers 20 heures arrive un Bataillon, puis tout le 55e d'Infanterie, qui assure cette défense. Le Régiment passe en soutien derrière cette nouvelle ligne. Le 11, après de nouvelles pertes, il est porté vers le Ganelon, puis en avant de Longueil-Annel où il organise un secteur qu'il tient trois jours avec le 11e Cuirassiers. Là encore il supporte des bombardements coûteux, mais l'ennemi n'attaque plus.

Le 14, il est relevé avec le reste de la Division, par le 67e d'Infanterie.

Extrait des pages 47 à 54 de l'historique du 4ème Régiment de Cuirassiers  (source Gallica BnF)
 
  
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